Joëlle Gayot reçoit l'artiste Lise Haller Baggesen et l'ex-commissaire du Museum of Contemporary of Chicago, Tricia Van Eck, dans le cadre du "Week-end Chicago à Paris" , au Théâtre de la Ville (les 18 et 19 octobre)... (l'entretien est traduit par Michel Zlotowski )
…Avec la performance (et le happening, aussi) apparaît une nouvelle théâtralité , où il s’agit d’abord d’une mise en scène de l’acte de création… Le mot performance veut dire accomplissement : accomplissement public en tant qu'oeuvre d'art.... C’est le lieu où peuvent exister la théâtralité sans théâtre et la picturalité sans peinture… La performance se forme à l’orée des années 1970 (mais le mot avait déjà été utilisé dès 1914 par Marinetti, lors d’une « soirée futuriste » à Naples).
D’après Giovanni Lista, auteur d’une encyclopédie mondiale des arts du spectacle, « La scène moderne » (Actes Sud), il y a dans la performance deux courants majeurs qui se distinguent et parfois se rencontrent : « l’un, marqué par le technologique et le multimedia, s’affirme aux Etats-Unis, l’autre, conceptuel, se répand en Europe »…
Lise Haller Baggesen , performeuse elle-même (vivant à Chicago), nous présente une installation glam , nous dit-on, qui fait « de l’ère disco des années 1970 un manifeste contre la normalité »... Et justement, souvenons-nous des performers des années 1970…
Il y avait alors Carole Schneemann, une pionnière dans l’art de la performance américaine multi ou intermedia
il y avait les performances de Meredith Monk qui exploitaient la voix comme outil de danse et de théâtre
il y avait Laurie Anderson qui, dans ces années-là, jouait des partitions de musique populaire sur les cordes d’un violon trafiqué, alors qu’elle était vêtue d’un costume de Pierrot et chaussée de patins pris dans un bloc de glace (dans l’œuvre intitulé Duet on ice , en 1974)…
…A partir de 1979, aussi, elle avait présenté une série de performances intitulée « United State », où elle associait tous les aspects de la communication : poésie, chansons, rock’n’roll, formes ultratechnologiques et accessoires lumineux des plus sophistiqués...
Le disco
C'est-à-dire la danse, aussi, - la danse et le théâtre dansé, comme on disait avec Martha Graham ou avec Merce Cunningham et la New Danse américaine…
Merce Cunningham a représenté, avec John Cage, l’avant-garde de l’après-guerre…
On a dit qu’aux Etats-Unis la postmodernité se définissait comme l’ « après Cunningham »… Mais, au Théâtre de la Ville, lors de ce week-end Chicago à Paris , on revient aussi en deçà de la deuxième moitié du 20è siècle, puisque Lise Haller Baggesen et ses deux compères, les performers Michal Samama et Keijuan Thomas - et sous l'impulsion de Tricia Van Eck -, doivent opérer (ont opéré) dans les espaces du Théâtre de la Ville encore inconnus du public : la loge Sarah Bernhardt et le Petit bar…
Sarah Bernhardt. .. ou l’image même de l’actrice … qui se lève, prend la pose, et impose le silence…
Mais aujourd’hui : disco… L’ère disco des années 1970 ou un manifeste contre la normalité, nous dit Lise Haller Baggesen… Soit la revanche des émotions? comme on dit parfois à propos l’art contemporain... En tout cas,Tricia Van Eck entend sortir du musée...pour aller vers les gens... Chicago, pour ses artistes, c'est cette capacité d'être dans l'intimité... Et c'est peut-être même "regarder la créativité maternelle ", nous annonce ici Lise Haller Baggesen... Mais quelle maternité? (dirait Brecht ) - celle de la Mère-Enfant?...
"Admettons tout de même, nonobstant tous les progrès de la science, que les femmes continueront à être les mères de l'humanité; qu'en aimant des hommes, elles feront naître des enfants. Ce destin, bien qu'allégé par le recours à différente techniques et par la solidarité, restera une vocation accaparante et irremplaçable. Nul n'ignore que, de leur osmose avec l'espèce, qui les différencie radicalement des hommes, les femmes héritent d'importantes difficultés à manifester leur génie : à construire un autre don spécifique, éventuellement génial, à la culture de cette humanité qu'elles abritent dans leurs ventres. Beaucoup se sont moqués de cette indépassable condition naturelle qui semblait écarter définitivement les femmes du génie. Ces caricaturistes n'étaient pas toujours de misérables misogynes. On se souvient de la superbe Mme de Merteuil pour laquelle certaines femmes, telle le présidente de Tourvel, ne seraient "jamais qu'une sorte d'espèce". Joyce lui-même, indépassable joueur de mots, et qui connaissait sa Molly de l'intérieur, se croyait dans le vrai en attribuant le temps aux hommes et en réservant aux femmes l'espace-espèce : "Father times and mother spacies." Et Baudelaire, le plus revendicatif, de railler "l'aspect puéril de la maternité". Ce n'est pas faux, mais ce n'est pas tout. Les mères peuvent être des génies, non seulement de l'amour, du tact, de l'abnégation, de l'endurance ou même du maléfice et de la sorcellerie, mais aussi d'une certaine manière de vivre l'esprit. Cette façon de mère et de femme (...) leur confère en effet un génie bien à elles. C'est précisément ce que les femmes, plus nombreuses au XXè siècle, plus assurées qu'aux temps passés, démontrent avec force : bien que puérilement lovées dans l'espace et dans l'espèce, elles peuvent agir aussi en singularités novatrices et modifier profondément la condition humaine." Julia Kristeva "Le génie féminin. 1. Hannah Arendt" (Folio Gallimard)
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