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La club culture dansée et pensée à la Villa Arson

Dite underground ou alternative, parce qu’en marge de nos sociétés, la club culture est loin de n’être qu’une célébration superficielle de la fête. Elle réunit et inspire une grande communauté d’individus (et d’artistes). Titrée d’après le cultissime tube de Soft Cell, l’exposition « Tainted Love – Club Edit » orchestrée par Yann Chevallier célèbre cet esprit avec une trentaine d’artistes internationaux. Son ambiance, sa danse, sa décadence.


1. L’after-life des grandes capitales

Toujours à l’abri des regards, la club culture s’est développée dans les espaces undergrounds des métropoles (Paris, New York, Berlin ou Londres), s’affirmant comme lieux de refuge et alternative au quotidien des citadins. À Paris, son histoire commence avec l’affirmation de la communauté gay dans les années 70 et avec la figure tutélaire de Fabrice Emaer (fondateur du Palace). Depuis, les bars et sex clubs gays se sont multipliés dans le quartier des Halles, que l’artiste Théodore Fivel, résident des environs, cartographie pour l’exposition. New York aussi, sa grande rivale, fut un des temples historiques de la fête, notamment, dans les années 70, avec le Studio 54 (que les habitués surnommaient « Hell ») ; ou, peu après, lorsqu’elle découvre la house music de Chicago, au Sway Lounge, auquel Brian de Graw rend hommage avec sa série photos Bounce. Contre l’ordre établi, la club culture n’obéit qu’à ses propres règles. Nique Ton Père peint alors Anne-Lise Coste, à la manière d’un graffiti. Ou comment mettre à mal les hiérarchies patriarcales qui règnent dans la société.

De gauche à droite : Betty Tompkins, Kiss painting #1, 2006 / Nina Beier, Automobile, 2017 / Brian Degraw, Bounce, 2008 / Liz Craft, Broken heart (confetti) et Broken Heart (red splatters) , 2017

2. Bas les masques

Dans l’intimité du club, les étiquettes se perdent, le « moi » réel et sans fard se révèle dans l’excès de la nuit. Tarik Kiswanson, ancien élève de l’école d’art Central Saint Martins (et clubber londonien), nous invite à cette introspection, avec ses miroirs sculptés d’après les détails de photographies de sa famille palestinienne. Notre image y est diffractée, méconnaissable. Se posent alors les questions : sommes-nous l’histoire que nous portons ? sommes-nous l’image que nous renvoyons ? Les identités professionnelles, sexuelles et genrées se dissolvent dans les ténèbres de la fête, créant un groupe libéré des diktats de la vie ordinaire. Dans l’œuvre de Nicole Wermers (lauréate du Turner Prize en 2015), l’idée d’une communauté surgit à travers cette réunion de vestes de motardes estampillées « The Violet Revs ». Laissez de côté votre image la plus soignée, destinée au monde policé du travail, car « In Hell, nobody listens to your career problems » [« En enfer, il n’y a personne pour écouter vos problèmes de carrière »], comme le clament les posters de Fabienne Audéoud & John Russell, auparavant distribués aux passants de l’est londonien.

De gauche à droite : Nicole Wermers, The Violet Revs, 2016 / Anne-Lise Coste, Nique ton père, 2018 / Vava Dudu, Sans titre, 2018

3. La mode au royaume de l’exubérance

Parmi les habitués du Palace : Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent ou Thierry Mugler (qui conçut les uniformes des barmen du lieu), accompagnés parfois de leurs muses, comme Grace Jones. Ces rois et reines de la nuit (et leurs prêcheurs) sont immortalisés dans les tirages noir et blanc de Pierre René-Worms. Entre la mode et le monde des noctambules, c’est une grande histoire d’amour et d’inspirations mutuelle, comme le montrent les vêtements néo-punks de la créatrice Vava Dudu, aussi icône de l’after-life. Les artistes célèbrent les looks exubérants des clubbers, dont les accessoires, perdus dans la torpeur de la danse, finissent par joncher le sol une fois les lumières rallumées. Ainsi, des talons Alaïa en bronze, signés Sylvie Fleury, gisent sur un podium en plein milieu de l’exposition. Ou encore l’œuvre Trophéed’Aude Anquetil, fontaine de boucles d’oreilles orphelines suspendues à une main de plâtre.

De gauche à droite : Sylvie Fleury, Alaïa Shoes, 2003 / Eileen Quinlan, Blue Hours, 2008–2015

4. Sex, Drugs and Techno Beats

Au sein de cette foule effervescente et moite, une odeur de corps chauds, presque inconvenante, émane des backrooms… Dans une des alcôves de la Villa Arson, on retrouve l’impertinent duo scandinave Elmgreen & Dragset et leur Powerless Structure n°19, paire de jeans Levi’s et caleçons Calvin Klein au sol, comme si deux personnes venaient de les ôter et nous invitaient à nous (dé)vêtir à notre tour. Le libertinage gagne le club et érotise les corps. Norbert Bisky, héritier de l’école de peinture du néo-réalisme leipzigois, présente des scènes hédonistes peuplées de jeunes éphèbes – fantasme courant de l’imaginaire queer. Les corps sont exhibés dans des scènes érotiques suggérées, à l’inverse des peintures de Celia Hempton ou de Betty Tompkins, chez qui la chair est offerte dans sa vérité la plus crue. La première peint en effet d’après des captures d’écran de sites de rencontres, où les corps sont cadrés à l’entrejambe. Betty Tompkins, la doyenne de l’exposition, expose quant à elle ses Kiss, Fuck et Cunt Paintings, gros plans sur des scènes d’ébats et d’organes sexuels. Une libération sexuelle propre aux clubs, comme au célèbre Berghain, où Norbert Bisky expose notamment ses toiles.

De gauche à droite : Norbert Bisky, Windowlicker (2018), Riecher (2006), Tunnel (2012), Kis (2018), Musa Tropicana (2017), Sans titre (2015), Tropical Convection (2018), Trunkeness Schiff (2017)

5. La fièvre du dancefloor

Dans une lumière stroboscopique colorisée, c’est sur le dancefloor, sous l’action combinée de la musique et des psychotropes, que la danse se fait transe. Les photographies d’Eileen Quinlan ou les néons de Sylvie Fleury et du collectif AVAF font référence à ces projections de lumières, parfois puissantes à vous en décoller la rétine. Combo ultime avec les traditionnelles boules à facettes, ici menottées aux murs façon boulets de prisonniers, dans l’œuvre de Brian de Graw. La danse, la catharsis du clubber, lorsque les corps se déchaînent jusqu’à la douleur. Émilie Pitoiset ne manque pas d’y faire référence. Lorsque l’artiste reprend des images de marathons de danse aux États-Unis, elle les titre Tainted Love (1, 2 et 3), clin d’œil à l’envie irrépressible de danser dès les premiers accords du tube de Soft Cell. Et si vous restez encore étranger à la club culture, venez tester vos pas de danse dans la cabine-discothèque d’Azzedine Saleck, sur une bande-son concoctée par Tom of England !

De gauche à droite : Cheyney Thompson, 489–1215 (8137 curves) (1879–1900), 2018 / Tarik Kiswanson, …of…at…h, at…, in…warflowers (the weavers’ machines), 2016 / Lise Haller Baggesen, HATORADE RETROGRADE (ARSON REMIX), 2019 / Brian Degraw, Sans titre, 2008

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